L’Église entre l’unité spirituelle et l’unité institutionnelle

Le Secrétaire Général du Conseil des Églises du Moyen-Orient (CEMO-MECC), Professeur Dr. Michel Abs, a prononcé ce discours lors du Service de Prière organisé à l'occasion de la clôture de la « Semaine de Prière pour l'Unité des chrétiens », le Samedi 25 Janvier 2025, à la Première Église Arménienne Évangélique - Kantari, Beyrouth.

Professeur Dr. Michel Abs

Secrétaire Général du Conseil des Églises du Moyen-Orient (CEMO-MECC)

« Allez donc, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » (Matthieu 28,19)

Lorsque le Seigneur a confié Son Église à Ses disciples, accompagnée de ce commandement, qui demeure valable jusqu’à aujourd’hui, Il était parfaitement conscient que le message salvateur se répandrait sur toute la terre, franchissant les frontières politiques, culturelles et sociales. Il attirerait quiconque aspire au salut par la connaissance, la liberté et les sentiments humains, et constituerait un défi pour ceux qui ne sont pas prêts à l’accueillir.

Nous connaissons tous l’histoire de l’expansion chrétienne, ses mécanismes, ses obstacles et ses défis. L’humanité témoigne encore de l’exceptionnalité du témoignage chrétien dans l’histoire : depuis la lapidation à Jérusalem au lendemain de l’Ascension, au fait de livrer les croyants aux bêtes sauvages, aux tortures de toutes sortes, aux massacres collectifs pratiqués dans notre région comme ailleurs, et qui atteignent un point culminant aujourd’hui en Afrique, sortie de siècles d’occupation, de persécutions et d’esclavage.

Le plus noble des témoignages est celui du sang. Le martyre !

Que l’Église se propage dans de nouveaux lieux, comme l’Afrique ou l’Extrême-Orient, parmi des peuples et des civilisations qu’on n’aurait jamais imaginé embrasser le message du salut, compte tenu de leur profond attachement à leurs religions anciennes, dont nous ne pouvons nier certains aspects raffinés et beaux, et cela à une époque où prévaut l’arrogance de l’homme moderne, cela ne peut être considéré que comme une bénédiction divine.

Tout cela indique qu’aucun obstacle ne peut entraver la route de ce message unique, éternel, venu pour sauver l’homme pécheur et fautif, marqué par de mauvaises intentions, l’hypocrisie, et un égoïsme individuel démesuré, pour l’élever de la boue de la sauvagerie à l’élévation de la foi, dans la religion de l’amour.

Si la force de ce message salvateur à transcender les cultures, innombrables dans le monde d’aujourd’hui—fait partie de sa capacité à parler à toute forme d’expression culturelle et à tous les états d’esprit, alors la diversité des institutions et des interprétations de la foi, de même que la variété des modes d’expression de cette foi, découle de la même capacité d’expansion universelle.

Le christianisme a été adopté par des peuples à travers le monde entier. Chacun a produit ses propres interprétations théologiques et pratiques cultuelles, issues de sa civilisation originelle. Nous voyons ainsi des expressions chrétiennes fondamentalement différentes les unes des autres. Pourtant, quiconque étudie ces questions spécialisées est convaincu que l’essence reste la même.

Cela explique pourquoi nous nous trouvons face à des institutions distinctes, parfois complètement étrangères les unes aux autres par leur organisation ou leur mode de fonctionnement. Nous devons aussi nous attendre à de nouvelles distinctions dans les contenus et dans les formes de la foi, compte tenu de la poursuite de l’expansion du message salvateur dans de nouvelles régions, en particulier en Afrique et en Extrême-Orient, comme mentionné plus haut.

Ici se pose la question essentielle : qu’advient-il de « l’unité chrétienne » dans une telle multiplicité et une telle diversité de la diffusion chrétienne à travers le monde ? Voulons-nous d’une chrétienté clonée, alors qu’elle a posé les bases de la liberté et des droits de l’homme par l’enseignement et la vie du Seigneur ? Devons-nous imposer aux peuples des détails de foi en contradiction avec leurs cultures et leurs valeurs, sachant que les enseignements fondamentaux du christianisme restent intangibles ? Devons-nous chercher à fragmenter cette communauté mondiale de croyants dès qu’apparaissent des divergences dans certaines interprétations ? Ne suffit-il pas, en tant que chrétien, que mon frère dans la foi croie en l’Annonciation, en la Nativité, le refuge, l’enseignement, la conduite, la Crucifixion et la Résurrection ?

Ce sont des problématiques ouvertes, sans réponse définitive. En effet, elles ouvrent la voie à un dialogue permanent entre toute l’Église du Christ. Ce dialogue existe et a déjà abouti à des accords honorables. Ce dialogue est un objectif en soi, garantissant une interaction soutenue aussi longtemps que Dieu le permettra.

Sur un plan parallèle, les innombrables institutions chrétiennes doivent s’entraider au service de l’humanité, pour le salut de laquelle le Seigneur s’est incarné. Elles doivent coopérer selon un système ou un cadre commun, afin d’unir leurs efforts et d’améliorer la vie humaine et sociale.

Actuellement, cette coopération ne peut prendre que la forme d’organismes de coordination. Ils existent déjà entre les institutions de l’Église du Christ. Le Conseil des Églises du Moyen-Orient (CEMO-MECC) en est l’une des expressions, et l’une des références actives en la matière. Il a fait de la convergence des institutions œuvrant dans le même domaine une priorité, ainsi qu’un pilier de sa stratégie à venir. C’est le « réseautage » (networking), une méthode largement adoptée dans le monde institutionnel contemporain, dont l’efficacité a été prouvée, depuis les entreprises à but lucratif jusqu’aux organisations humanitaires.

L’expérience du CEMO-MECC dans ce domaine a déjà porté ses fruits dans certains secteurs et doit se poursuivre dans deux sens : d’abord, s’étendre à de nouveaux domaines de travail chrétien commun - œcuménique), puis s’institutionnaliser, à l’image de l’ATIME (l’Association des Instituts de Théologie au Moyen-Orient), qui a déjà fait ses preuves. La Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, que nous couronnons aujourd’hui, illustre bien cette tendance.

Partant du dicton « Dieu bénit les foyers d’où sortent d’autres foyers », le CEMO-MECC se prépare à devenir un point de départ pour la création d’autres organismes de coordination via le réseautage, qui prendront la forme d’institutions autonomes sous la tutelle du Conseil, avec la bénédiction de ses Églises membres.

Le travail œcuménique, dont le nom générique est « l’action chrétienne commune », a démontré être un moyen de rapprochement spirituel entre les croyants par leur marche au service commun, qui réunit les cœurs et fait tomber les murs de glace érigés entre les fidèles de la seule et même Église éternelle. En l’absence d’unions institutionnelles tant espérées par tous les croyants, nous pouvons nous unir dans la spiritualité et la dimension sociale de la foi, puisque nous partageons la même foi et les valeurs sociétales qui en découlent, et par lesquelles nous servons l’homme. Grâce à cette foi, l’humanité a développé toutes sortes de services destinés à ceux qui peinent sous le poids du fardeau.

La règle qui sous-tend tout cela, et qui permet de surmonter les obstacles, est le principe de         « l’auto positionnement ». Autrement dit, si vous êtes en désaccord avec votre partenaire dans la foi sur certains points, et si cette foi est vitale pour vous deux, vous devriez adopter une approche d’auto positionnement, chacun selon sa vision, dans l’intérêt de votre foi et de votre cause commune. Le contraire mènerait à la rivalité, ce qui serait un piège fatal pour les croyants, qui ne respecteraient plus le commandement du Seigneur : « Afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jean 17,21)

À la fin du premier demi-siècle d’existence du CEMO-MECC, et l’année 1700 du Concile de Nicée, nous vous promettons de poursuivre notre mission de rapprochement, engagée depuis notre fondation et inscrite comme un principe fondamental dans sa constitution et ses textes fondateurs. Cette œuvre a porté ses fruits : la réunion actuelle des responsables ecclésiaux en est le résultat, après des décennies d’efforts constants.

Nous sommes aujourd’hui au cœur d’un processus d’institutionnalisation qui garantira la pérennité du CEMO-MECC pour qu’il poursuive la mission confiée par ses fondateurs. Nous avons besoin de vos bénédictions, de vos prières et de votre soutien habituel, afin que cette institution, considérée comme l’une des plus hautes formes du service chrétien commun, puisse être préservée pour les décennies à venir et demeure un haut-lieu de la communion chrétienne dans la région qui a vu l’Incarnation et la Résurrection.

Sous la bénédiction et la direction de Dieu, nous avançons, Sa main nous accompagne et c’est Lui qui accorde la réussite. Oui, nous y croyons !

Previous
Previous

The Church Between Spiritual Unity and Institutional Unity

Next
Next

The Middle East Council of Churches Issues the Ecumenical Calendar for February 2025